Le mariage d'une orpheline mineure au XIXe siècle
Publié le 15 Décembre 2018
Le généalogiste amateur rencontre régulièrement le cas d'un enfant mineur dont les parents consentent au mariage et sont présents (ou absents mais avec un acte tenant lieu de consentement). Dans mon ascendance paternelle et patronymique, j'ai le cas d'une ancêtre orpheline mariée alors qu'elle n'avait ni père ni mère : Mélanie Désirée Lefebvre (1810-1884).
En droit, il convient qu'un tuteur soit nommé pour s'occuper de l'enfant mineur orphelin. Aujourd'hui, les juristes parlent de protection des personnes incapables et s'il est permis de se marier avant la majorité, il faut l'accord du responsable légal. Pour les mineurs, comme pour les majeurs, c'est très encadré afin de protéger aux mieux leurs intérêts patrimoniaux notamment.
Mais qu'en est-il au XIXe siècle concernant le mariage d'une fille mineure et orpheline ?
Dans cet article, je commencerais par évoquer rapidement le contexte familial et les personnes concernées, puis j'aborderais la question du droit à l'époque, tel que j'ai pu le reconstituer en cherchant sur Gallica, le site numérique de la BNF. Enfin, je raconterais rapidement la vie de notre orpheline après son mariage.
1. Mélanie Désirée Lefebvre (1810-1884)
Mélanie Désirée Lefebvre est née le 23 juin 1810 à Gerville (76), de Pierre François, un cultivateur de 50 ans, et de Marie Anne Rose Levasseur.
Lieux importants de la vie de Mélanie Désirée Lefebvre (réalisée d'après Geoportail, 15.12.2018 par S. Levacher)
A sa naissance, elle a trois sœurs et deux frères. Elle a encore ses grands-parents maternels, Jean-Baptiste Levasseur (72 ans) et Françoise Martel (65 ans).
En 1812, Mélanie a une dernière sœur, Prudence Aimée, mariée également lorsqu'elle était mineure, en 1830.
Arbre d'ascendance de Mélanie Désirée Lefebvre (réalisé d'après les actes sur le site des archives départementales 76, 15.12.2018 par S. Levacher)
L'année 1819 va être terrible pour Mélanie et ses frères et sœurs. En fin d'après-midi, le 30 de janvier, Pierre François, son père, décède à Gerville à l'âge de 59 ans. Quelques mois après, c'est au tour de Marie Anne Rose, sa mère, de décéder le 29 août (peut-être de chagrin) âgée de 44 ans seulement.
A 8 ans, Mélanie se trouve donc orpheline. C'est là qu'arrive le droit. Aujourd'hui, un enfant qui perdrait ses parents est protégé par une mesure de tutelle. Un membre de la famille est nommé, soit du vivant des parents, soit par le Conseil de famille.
Au XIXe siècle, ce n'était pas très différent.
2. La mesure de tutelle.
Mélanie n'a pas dû avoir une enfance des plus heureuse. Elle a sans doute été mise au travail très jeune. Le 7 mai 1829 elle épouse, à Criquebeuf-en-Caux, Clément Modeste Levacher, un maître cordier. A ce moment-là, elle est dite couturière.
Clément et Mélanie se sont sans doute rencontrés à Criquebeuf-en-Caux. Il est possible qu’ils fréquentent alors les mêmes réseaux amicaux et professionnels. Mélanie a de la famille à Criquebeuf, notamment sa sœur, Rose Victoire Lefebvre (née en 1798), qui s’est mariée en 1826 à Pierre Bernard Enault, un cultivateur. Pierre Bernard est même témoin lors du mariage de Clément et Mélanie. Peut-être Pierre Bernard était-il ami avec Clément ?
Seulement voilà, Mélanie est mineure et orpheline au moment du mariage. Elle ne peut consentir seule à son union.
Le Code civil de 1804 prévoit que la majorité civile est alors fixée à 21 ans pour les deux sexes, alors que la majorité matrimoniale est de 21 ans pour les filles et de 25 ans pour les garçons.
Le consentement des parents est obligatoire avant la majorité matrimoniale. De fait, un garçon pouvait être majeur (21 ans), mais devait tout de même obtenir l'accord de ses parents pour se marier jusqu'à son 25e anniversaire.
Le Juge de Paix du canton le plus proche doit réunir les parents vivants dans l'arrondissement afin de désigner l'un d'eux comme tuteur.
A défaut d'avoir le procès-verbal, il est possible de savoir comment les choses se passaient. Le Conseil de famille était composé de 6 membres et le Juge de Paix en était le président (avec voix délibérative). En cas de désaccord, il a voix prépondérante.
Si le mineur n'a pas assez de parents vivants, le Conseil peut-être complété soit par des amis, soit par des voisins, désignés par le Juge.
L'acte de mariage mentionne que le Conseil de famille s'est réuni devant le Juge de Paix de Fécamp, le 7 mai, soit le même jour que le mariage. Le tuteur, et donc le représentant légal de Mélanie lors de son mariage, c'est son oncle paternel, Louis Emmanuel Anne Lefebvre (1756-1838), lui-même marié et père de trois enfants.
3. Le destin de Mélanie Désirée.
Clément et Mélanie auront 6 enfants, dont seulement 4 dépasseront la vingtaine. Les trois premiers naissent à Criquebeuf-en-Caux, et les trois suivants à Saint-Valery-en-Caux. Nous pouvons donc estimer que la famille amorce l'installation à Saint-Valery-en-Caux entre le mois de février 1836 et celui de novembre 1837.
En 1855, Clément et Mélanie perdent leur fille Hortense. Cinq ans plus tard, le 19 novembre 1860, Clément Modeste décède à son domicile, rue de Dieppe. Il était âgé de seulement 55 ans.
Maison de la famille Levacher à Saint-Valery-en-Caux (réalisé d'après une carte disponible sur Gallica, 15.12.2018, par S. Levacher)
Quant à Mélanie Lefebvre, devenue veuve, elle va reprendre la corderie. A la fin de sa vie, elle part habiter chez sa fille, Louise, et son gendre, Paschal Tougard.
C'est chez eux qu'elle décède à 10h30 le 8 décembre 1884, rue Sous-le-Bois à Fécamp, âgée de 74 ans. Elle est alors dite rentière, signe qu'elle peut vivre de ses revenus à la fin de sa vie.
Pour une femme du XIXe siècle c'est une vie somme toute réussie.