C comme Cordier (#ChallengeAZ 2019)
Publié le 4 Novembre 2019
Dans ce troisième épisode du challengeAZ j'avais envie de revenir sur un métier très présent dans ma lignée paternelle : celui de cordier. Plus précisément, car ce serait bien trop long de parler de tous mes ancêtres cordiers, qui se succèdent jusqu'au début du XXe siècle, je vais plutôt m'attarder sur le premier : Guillaume Modeste Levacher. C'est donc un peu de la triche car pour évoquer la profession en question, je suis bien obligé de contextualiser un peu.
Il est né le 6 novembre 1777 à Contremoulins, de Charles Dominique et Marie Anne Loisel.
Son père meurt dès 1778. Guillaume avait onze mois. Il est très certain qu’il n’a pas de souvenir de ce père mort si jeune. Quant à sa mère, Marie Anne Loisel (1747-1817), il est fort probable qu’après ce décès elle soit rapidement retournée vivre au sein de sa famille, dans la commune de Criquebeuf-en-Caux. Dès lors, Guillaume a certainement passé la plus grande partie de son enfance et de sa vie dans ce petit village normand.
Criquebeuf-en-Caux est situé dans le Pays de Caux, en Seine-Maritime. C'est un bourg d’environ 1 500 habitants en 1800. Il est constitué d’un important hameau, celui d’Yport, qui deviendra une commune indépendante en 1843. Yport est un très ancien site de pêche. Avant la conquête romaine, il était occupé par la tribu des Calètes. Yport était relié à la voie romaine qui allait de Fécamp à Etretat. C’est seulement au XIXe siècle que le village connaît un réel essor grâce à la pêche. La population avait une spécificité linguistique : elle parlait un patois dénommé parler d’Yport.
Guillaume va vivre la Révolution française pendant son adolescence. Il a presque 12 ans en juillet 1789. Il reçoit une éducation basique, sans doute auprès du curé du village. Durant les années révolutionnaires, la vie ne fut pas de tout repos. L’église de Criquebeuf fut saccagée par des troupes de passage. La statue de Saint-Martin, patron du village, sera également détruite.
C’est le 5 septembre 1804, à Criquebeuf-en-Caux, que Guillaume épouse Rose Clotilde Guéroult. Concernant les témoins de Guillaume, il y a deux de ses oncles maternels, Jean-Baptiste Loisel (1753-1835), un menuisier de 51 ans, et Clément Legros, marchand-cordier de 50 ans. Rose Clotilde donnera naissance à son premier enfant, Clément Modeste, le 10 mai 1805. Guillaume et Rose auront ensuite un autre garçon, Prosper (1807-1808), et une fille Marine Françoise (1810-1880).
Durant son enfance, Guillaume semble très proche de ses deux oncles, témoins de mariage. Il l'est surtout du second, Clément Jean Legros, qui est l’époux de Marie Catherine Loisel. Marchand-cordier, il paraît vraisemblable qu’il ait appris son métier à son neveu. Il est d’ailleurs témoin lors de la naissance du fils aîné de Guillaume, prénommé Clément. Il semble que cet oncle ait donc beaucoup compté. Peut-être a-t-il même été un père de substitution pour Guillaume ?
Après cette longue introduction, voici le temps d'aborder plus en détail le métier de cordier. Guillaume a exercé le métier de cordier toute sa vie.
Le cordier est celui qui fabrique des cordes. Au XIXe siècle, il en existait de toutes sortes. Durant toute la première partie du siècle, une corderie se confondait souvent avec une filature. Elle était encore très artisanale et se mécanisera progressivement. Celui qui en avait la charge est un maître-cordier. Soit c’est l’ouvrier qui a le plus d’expérience, soit c’est le patron (qui a souvent une certaine expérience du métier).
Guillaume apprend le métier sans doute sous les ordres de son oncle, Clément Legros. D’abord cordier, il est ensuite qualifié de maître-cordier. Les manuels spécialisés des années 1830 parlent de corderie marchande. La corderie était souvent installée dans une cour, le plus souvent à l’abri du soleil. Pour fabriquer les cordes, la technique utilisée est celle du commettage.
Extrait du Nouveau manuel du cordier (1839) de Boitard, p. 161. (Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, V-27196 (BIS))
Déjà au XVIIIe siècle, l'Encyclopédie consacrait un article à ce métier, à l'époque artisanal, avant qu'il ne s'industrialise au cours du XIXe siècle.
Dans le cas de Guillaume, la corderie sert certainement à la confection des cordages maritimes, nécessaire pour les voiles d’un bateau par exemple.
Le maître-cordier n’était pas toujours propriétaire des murs. Il pouvait être locataire. Concernant les Levacher, ils étaient sans doute propriétaire. D’ailleurs, cette activité de cordier va se transmettre dans la famille jusqu’au début du XXe siècle. Elle va progressivement décliner, en même temps que la marine à voile. Très concurrentielle, cette activité marchait surtout grâce à l’entregent. Il fallait avoir les bons réseaux, notamment des contacts auprès des armateurs, pour écouler plus facilement la marchandise.
C’est à Anvers, en Belgique actuelle, dans le département français des Deux-Nèthes, que Guillaume décède le 21 avril 1812. Il a 34 ans. J'en ai connaissance car cette date est mentionnée sur l’acte de mariage de ses enfants, mais je n’ai pas réussi à retrouver l’acte correspondant dans les archives de Belgique en ligne. Que faisait-il a Anvers ? Etait-il a bord d’un navire en tant que cordier ? Etait-il en voyage d’affaires pour s’approvisionner en matière première ? Sous les drapeaux ? Je ne saurais sans doute jamais le fin mot sur son décès.
Après la mort de Guillaume, la corderie passe à sa veuve, Rose Clotilde Guéroult.
Les images d'illustration de ce challenge sont tirées du site Gallica, d'un abécédaire intitulé "A.B.C. des enfants studieux" (voir ici).