La sorcellerie en Lorraine sous l'Ancien Régime
Publié le 13 Avril 2019
Tout d'abord, je tenais à expliquer les raisons de mon retard en terme d'articles. Ces derniers mois, et depuis la rentrée scolaire, je suis en formation pour être assistant notarial. Elle me demande beaucoup de travail et, naturellement, avec en plus l'obligation de rechercher un stage, j'ai mis la généalogie au second plan.
Maintenant, passons au sujet du jour. Après une courte discussion sur Facebook, au sujet des procès en sorcellerie en Alsace, j'ai fais rapidement quelques recherches. En effet, du côté paternel, avec la famille Grivel, fort nombreuse, j'avais eu l'occasion de voir, sur certains arbres Geneanet, des individus exécutés pour sorcellerie. Dans la famille Grivel, il y en a notamment un, Claude Mangeon, brûlé le 1er février 1611.
Il existe des dossiers aux archives de Nancy, qu'un universitaire anglais, Robin Briggs, de l'université d'Oxford, a mis en ligne sur un site Internet, sous la forme de dossier pdf résumé (voir ici : Lorraine Witchcraft Trials). C'est très intéressant. Bien sûr c'est en anglais, ce qui est vraiment le seul point un peu négatif car je ne suis pas très doué de ce côté. Mais pas de quoi non plus faire renoncer un généalogiste.
Dans cet article, je vais donc revenir sur le phénomène général des procès en sorcellerie en France, puis je parlerais de Claude Mangeon.
1. Le phénomène des procès en sorcellerie.
La sorcellerie est trop souvent rattachée au Moyen-Âge et, surtout, à une institution redoutable : l'Inquisition. Certes, il existe de tels procès en sorcellerie, mais c'est à la fin du Moyen-Âge. Si certains commencent dès la fin du XIVe siècle, notamment à Valenciennes, c'est surtout à l'époque moderne que nous trouvons les plus nombreux cas. Par exemple, au XVIIe siècle, en Normandie, région d'origine de nombres de mes ancêtres, la grande affaire de sorcellerie est celle des Possédés de Louviers en 1643, même si nous pouvons considérer qu'un des plus célèbre procès en sorcellerie reste celui de Jeanne d'Arc qui eut lieu à Rouen en 1431.
Le phénomène est européen, que ce soit en Espagne, en France, aux Pays-Bas ou en Suède, lié ou non à une institution officielle appelée Inquisition. Ainsi, Aline Goosens explique que :
La chasse aux sorcières qui sévit dans toute l’Europe occidentale et chrétienne au tournant des XVIe et XVIIe siècles s’inscrit dans le contexte des guerres de religion, de la Réforme protestante et surtout de la Contre-Réforme, c’est-à-dire dans un processus de conquête ou de reconquête des masses populaires au catholicisme. La lutte contre le diable et ses suppôts – les sorciers – semble prolonger idéologiquement les procès menés dans la première moitié du XVIe siècle contre les hérétiques.
2. Les procès de sorcellerie en Lorraine.
Je tiens à préciser que je ne suis en rien spécialiste et que, faute d'avoir le temps de faire des recherches complémentaires et, surtout, d'avoir accès aux documents originaux, mes propos et analyses sont à prendre avec les précautions d'usage concernant un travail historique.
En tout cas, ce qui saute aux yeux en lisant quelques-uns des fichiers constitués par Robin Briggs (et ils sont nombreux), c'est plusieurs choses :
- Les accusations sont toujours à l'origine de ressentiments : l'accusé m'a prêté de l'argent, j'ai mis du temps à lui rembourser et une semaine après un mouton est mort. Je suis sûr qu'il s'est vengé par sorcellerie (car en plus il a la réputation d'être un sorcier aux yeux de tous).
- Le Juge ne remet jamais en cause les témoignages et, pire, grâce sans doute à un questionnaire pré-établie parviens presque tout le temps à faire avouer la même chose aux accusés (notamment sous la torture) : les accusés reconnaissent avoir vus le diable, avoir participé à un Sabbat, avoir reçu de la poudre avec laquelle le prévenu à empoisonné les bêtes et souvent il accuse de nouvelles personnes.
- Dans la plupart des procès, jusqu'à la séance de torture (ou aux séances parfois), les prévenus nient, semblent de bonne foi et ne montrent aucune forme de folie (comme cela est possible en de rares cas, bien analysés par la médecine moderne). Ils n'ont d'ailleurs droit à aucune défense. Comme nous sommes dans une société très religieuse, défendre un sorcier ou une sorcière pouvait conduire les gens sur le bûcher pour complicité de sorcellerie.
Finalement, il s'agit d'un engrenage sans fin.
3. Claude Mengeon Grivel (ca. 1566-1er février 1611)
Le procès de Claude Mengeon Grivel a lieu en 1611. Tout d'abord, un petit rappel sur la famille Grivel. Je tiens mes informations, pour cette période, de seconde main. Je n'ai jamais eu l'occasion de pouvoir me rendre aux archives de Nancy. Néanmoins, des généalogistes amateurs, présents sur Geneanet, semblent sérieux. La plupart s'accordent sur un point : il n'est pas possible d'être sûr à 100% de la filiation entre les Grivel connu au XVIIe siècle et le plus ancien connu, Michel, exécuté pour inceste et infanticide. Bref, quoi qu'il en soit, il est fort à parier que cette famille n'avait pas une bonne image auprès des gens. Claude Mengeon est donc le petit-fils de Michel.
Après recherches plus poussées dans les documents de Robin Briggs, il m'a été possible de retrouver un autre membre de la famille accusé de sorcellerie : Georges Durand (un autre petit-fils de Michel). Lui par contre est mort en prison, c'est-à-dire qu'il s'est probablement suicidé.
Descendance de Michel Grivel aux XVIe et début XVIIe siècles. En rouge, les membres de la famille acussés de sorcellerie (pour Colin je n'ai rien trouvé).
Il n'y a toutefois pas de dossier pour Georges, ce qui est dommage, car cela aurait permis d'en apprendre un peu plus sur la famille et les relations amicales.
Passons à Claude Mengeon. Le procureur des religieux de Saint-Dié a ouvert une enquête pour de nombreuses accusations de vol et de sorcellerie à l'égard de Claude. Il est dit confortable, ce qui veut dire que c'est quelqu'un qui a un certain niveau de revenus. Il a donc de l'argent. C'est important de le savoir car, comme je l'ai synthétisé plus haut, les accusations reposent souvent sur de la jalousie ou de la superstition.
Dans les témoins est présent un Colas Claudon Grivel, qui semble être un membre de la famille. En effet, dans le dossier il est dit avoir 60 ans, ce qui correspond avec les données que j'ai. Dès lors, nous sommes là en présence d'une querelle familiale. Bastien Colas, le fils de Colas Claudon, en rajoute une couche. En effet, Bastien reproche à l'accusé le fait que deux bœufs ce sont emballés dans la forêt, devenant incontrôlables. Il a donc dû les vendre.
Un autre membre de la famille, Vincent Jardelle, le beau-frère de Claude Mengeon, fait parti des témoins à charge. Il est marié à Jacotte, la sœur de Claude Mengeon.
Dans les autres témoignages, les témoins parlent en effet d'une sœur de l'accusé, elle-même jugée pour sorcellerie. Dès lors, cela montre que cette branche de la famille a mauvaise réputation de manière générale.
Ces éléments sont intéressants pour le généalogiste, mais surtout l'historien de la famille, afin de comprendre la société de l'époque, les relations entre les individus, la superstition, les conflits intrafamiliaux, etc.
La suite du document donne des informations personnelles sur l'accusé. Et là c'est intéressant pour le généalogiste. Il a environ 45 ans. Il dit avoir toujours vécu à Sachemont. Le père de Claude, Mengeon, est mort 8 ans plus tôt, soit vers 1603. Le père et le fils sont surnommés des Feignes. Il est dit aussi que la mère s'appelait Jehanne et était morte encore plus tôt de dysenterie. Tout cela repose sur la mémoire de l'accusé. Il a aussi trois frères et deux soeurs. Deux des frères sont déjà morts, de façon naturelle. Le troisième frère, Fleurant, s'est suicidé en se jetant dans un lac parce qu'il avait eut un enfant bâtard.
La première soeur, Jacotte, est celle mariée à Vincent Jardelle. L'autre, Agathe, est mariée à Claude Dotrain. Les témoins parlent d'elle dans leur témoignage. Elle a été arrêtée pour sorcellerie et visiblement Claude Mengeon avait peur qu'elle accuse des gens de biens d'être sorciers (visiblement ce fut le cas).
Voici donc l'arbre qu'il est possible de recréer concernant la famille proche de Claude Mengeon.
Le 5 janvier 1611, le Procureur demande la question ordinaire et extraordinaire. Les échevins de Nancy acceptent dès le 8. Le 11, c'est la séance de torture. Je ne décrirais pas ici les supplices prévus et autorisés par les échevins, car c'est facile d'en trouver la liste sur Internet.
En tout cas, Claude Mengeon résiste au supplice du vis à pouce. C'est-à-dire, en gros, qu'il a eu les pouces écrasés dans un étau jusqu'à la limite de l'ongle. Il se lance alors dans des premiers aveux, affirmant avoir rencontré le diable (Mère Napnel). La première séance est interrompue, dit le procès-verbal, parce que le maire et les échevins doivent assister à une autre réunion concernant les affaires du jour au marché.
Le lendemain, comme Claude ne fait pas assez d'aveux, il est de nouveau soumis au vis à pouce. Cette fois, il fait d'autres confessions, notamment en citant d'autres noms (au moins 5 ou 6 noms, dont celui de sa sœur Agathe, déjà arrêtée).
Le Procureur demande la peine de mort le 13 janvier. Les autorités de Nancy confirment dès le 17. Claude Mengeon est exécuté, par le feu, dès le 1er février 1611. Comme cela se faisait, il a sans doute dû être étranglé avant que le feu de l'atteigne.
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B 8707 no 3, witch 255, Claude Mengeon Grivel, alias des Feignes, de Sachemont (procès de décembre 1610 à janvier 1611)