Les femmes et la sexualité dans la société française au XVIIIe siècle
Publié le 1 Mai 2018
Dans nos généalogies, nous rencontrons de nombreuses femmes. Mais il est parfois très difficile de retracer leur vie. Elles apparaissent souvent dans l'ombre de leurs époux. D'ailleurs, dans les actes paroissiaux, l'homme a une profession mentionnée, très rarement la femme. Elle s'en tiens à son rôle de génitrice. Elle donne la vie. En soi, c'est un rôle social et une capacité biologique non négligeable, mais c'est très réducteur, nous en convenons aisément.
Contrairement à une idée reçue, le siècle des Lumières ne l'est pas pour les femmes, bien au contraire. Du moins sur un plan juridique et social. En revanche, dans le domaine de la santé publique, mais aussi de la sexualité, les historiens observent des évolutions. La formation des sages-femmes est pris au sérieux par les médecins. La question de la violence doit aussi être posée. Si elle reste un sujet de société au XXIe siècle, la difficulté des victimes à parler était sans doute encore plus important sous l'Ancien Régime. Comprendre à la fois le rôle, mais aussi la condition de la femme sous l'Ancien Régime n'est pas aussi évident qu'il y paraît au premier abord.
1. Une éternelle mineure.
Il est évident qu'être une femme à l'époque moderne n'était pas amusant du tout. Elle ne peut passer aucun acte juridique sans l'accord d'un homme, le plus souvent son mari. L'homme représente l'autorité et peut même être puni s'il fait montre de trop de faiblesse. D'après l'historienne Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, la plupart des coutumes provinciales reconnaissent le droit de frapper sa femme1. Seules les châtiments cruels et dégradants peuvent amener l'homme devant un tribunal à partir du XVIIIe siècle. C'est selon l'appréciation du juge. Nous parlons ici uniquement de violences conjugales. Le viol est souvent tabou. La difficulté de la femme à faire reconnaître son statut de victime reste d'actualité dans notre société.
La fille est donc sous l'autorité de son père, puis la femme sous celle de son mari. Lorsqu'elle est veuve, si elle a un peu d'argent, elle peut alors espérer se sortir de ce statut d'infériorité. Bien souvent, elle doit se remarier rapidement. Les femmes sont donc un groupe social que l'on dit dominée.
Un exemple de cette domination, ce sont les séquestrations légales par lettres de cachet. Un phénomène qu'analyse l'historien Eric Wauters pour la Généralité de Rouen2. Ce ne sont pas des cas majoritaires. Les fils sont les premières victimes de ces enfermements. La plupart des procédures visent des femmes jugées de mœurs légères ou alors rebelles. La place des femmes dans la Révolution française laisserait penser qu'elles sont prompt à vouloir se défendre. E. Wauters montre que des pères demandent l'enfermement de leurs filles afin d'éviter qu'elles épousent tel ou tel homme qu'il n'aurait pas choisi.
Finalement, les problèmes de couple sous l'Ancien Régime ne sont pas très différents de ceux d'aujourd'hui : crise de la cinquantaine, rupture après 15 ou 20 ans de mariage, alcool, dépenses excessives, etc, etc. La seule différence avec notre société - et pas des moindre - c'est que la femme est souvent tenue pour seule responsable de la situation. Quels sont donc les raisons de ces problèmes ?
L’histoire contemporaine (1775-1778) de Marie-Françoise Thiessé, fait écho aux propos de François Thomas, avec cependant la voix de la défense. On y trouve presque tout ce qui fait problème dans le couple et violence à l’épouse : différence d’âges (21 et 36 ans au mariage), désirs d’une vie de plaisirs, tragédie de la détention.
De façon générale, ces demandes d'enfermements des femmes sont le fait de toutes les couches de la société. Aucune remise en question de l'homme, et donc de l'autorité, n'est faite. Elles sont jugées par des hommes pour des hommes. C'est donc ce que nous pouvons appeler l'autorité paternelle qu'il convient maintenant d'interroger.
2. L'autorité paternelle.
La place de la femme ne peut donc se comprendre qu'au regard de celle de l'homme. Une fois marié, le mari exerce une autorité presque absolue sur sa famille. Il a le droit de battre ses enfants et sa femme, de les chasser de sa maison, voire même de les faire enfermer dans une prison (comme nous venons de le voir). Bien sûr, il y a un minimum de règles et faire incarcérer un enfant ou une femme ne peut se faire arbitrairement.
Certains penseurs extrémistes demandent même le rétablissement du droit de vie et de mort du père sur ses enfants. D'autres, comme Molière, tourne en dérision la soumission de la femme à l'égard de l'homme, notamment dans sa pièce L'école des femmes (1662). Au XVIIIe siècle, Rousseau est l'exemple type de l'homme qui néglige ses devoirs de père. Ce siècle valorise pourtant, peu à peu, le rôle éducatif du père et la responsabilité qu'il a de s'occuper de ses enfants. Diderot, dans Le père de famille (1758), décrit ce que doit être le bon père de famille. Il lui faut rechercher le bonheur de ses enfants, se montrer attentif à leurs besoins, de bon conseil, etc. Au XIXe siècle, cela se ressent par exemple dans les lettres envoyées par Guizot à sa fille. Même Fouché était un bon père de famille si l'on en croit son biographe, Emmanuel de Waresquiel.
Mais, justement, si le rôle du père à l'égard des enfants va évoluer positivement, ce n'est pas le cas pour les femmes. Le libertinage, par exemple, est un cas de domination masculine assez particulier (même si nous nuancerons plus loin en abordant la question plus générale de la sexualité). La femme devient un objet qu'il est facile d'obtenir par la ruse. Il suffit de lire le roman épistolaire Les liaisons dangereuses (1782) de Choderlos de Laclos pour s'en faire une idée. Ce roman est une sorte de dénonciation du libertinage. Si les romans libertins restent principalement érotiques et anticléricaux, ils mettent parfois en scène des actes beaucoup plus répréhensible (comme la pédophilie ou le viol). Pour exemple, nous avons le marquis de Sade, un véritable criminel. Il fut, au début, soustrait à la justice par sa famille. La première victime du marquis est ainsi indemnisée et l'affaire enterrée, pour éviter le scandale. La seule occupation du libertin est de séduire les femmes sur qui il a jeté son dévolu, de rompre avec elles et de prendre la société à témoin. Une attitude qui détruit bien souvent les femmes, car le libertin n'a pas pour but de se cacher, il fait savoir qu'il a réussi à coucher avec telle ou telle femme, souvent mariée.
Le libertinage est-il, comme il est souvent présenté, un symbole de l'émancipation des mœurs et de la liberté ? Ce sont encore des hommes qui mettent en avant leur liberté. Bien sûr, parfois, les femmes sont aussi des libertines. Il n'y a pas que les hommes. Toutefois, le plus souvent, ce sont des hommes qui considèrent la conquête de la femme comme un art de vivre et la liberté suprême. C'est une volonté de critiquer l'austérité morale de l’Église catholique, notamment. Mais, souvent, les femmes victimes finissent justement enfermées, comme nous venons de le voire.
Même si ce sujet peut en choquer certains, il est difficile de comprendre le libertinage et ses conséquences sans s'intéresser à la sexualité sous l'Ancien Régime et principalement au XVIIIe siècle.
3. La sexualité féminine : un tabou ?
La sexualité au XVIIIe siècle peut se caractériser par un paradoxe : si la communauté villageoise tolère souvent qu'un jeune homme trousse une jeune fille, elle tolère moins que cette dernière ne soit plus vierge au mariage. A qui profite donc la libération sexuelle du XVIIIe siècle ? Certains historiens tendent à montrer que cette émancipation sexuelle du XVIIIe siècle a eu des conséquences négatives au XIXe siècle. La sexualité féminine a eu tendance à être dépréciée. C'est surtout le cas pour les femmes pauvres.
Accouchant souvent d’enfants illégitimes, n’ayant pas accès à l’idéal de l’amour romantique ni à celui de la vie de famille que les femmes de statut supérieur entretenaient pour adoucir les mauvais traitements que les hommes leur infligeaient, souffrant de ne pouvoir endosser le rôle respectable de la femme passionnée, leur réputation était des plus précaires.
La question de la sexualité est souvent pensée en prenant en compte le regard des hommes, rarement celui des femmes. Dans une étude collective de 2004, l'historien Olivier Blanc montre bien les limites de ce biais historiographique.
L’historiographie des deux derniers siècles nous a renvoyé une image stéréotypée de la femme au XVIIIe siècle, en conformité avec les mentalités qui ont prévalu à partir de l’Empire et du Code civil, qui consacrent, il faut bien le dire, le triomphe de la pruderie et la « défaite des femmes ». Cette historiographie masculine, et les érudits frères Goncourt en particulier, oppose généralement la dame de cour ou de salon bourgeois à la fille intrigante et délurée qu’incarne « la » Du Barry ou « la » Guimard.
Nous avons vu que le rôle social et juridique de la femme est précaire à l'époque moderne. Elle subissait souvent la violence légitime que son mari avait le droit d'exercer sur elle. Dans le cas de Sade, par exemple, nous avons un travers extrême du libertinage. Celui d'un homme noble qui prend plaisir a abuser et violenter, voire torturer des femmes socialement inférieures. Ce comportement va donner d'ailleurs naissance au mot sadisme. Mais ce libertinage masculin qui se vante de séduire les femmes à la chaîne en quelque sorte, est toutefois minoritaire. De plus, la frontière entre ces pratiques et la prostitution n'est pas si ténue. Mais tout cela concerne souvent les couches les plus aisées de la population. Qu'en est-il dans les classes sociales moins favorisées ?
Olivier Blanc souligne effectivement que la littérature libertine caricature ce qu'était la sexualité à l'époque moderne. Il préfère s'en tenir aux archives disponibles, notamment celle des notaires, mais aussi de la police. Dans la capitale, l'essor des maisons de jeux permet une plus grande liberté des mœurs.
À la veille de la Révolution, leur nombre qui n’avait pas diminué était au contraire en augmentation, malgré la sévérité des lois et les descentes de police. Or tous les observateurs de police le consignent dans leurs rapports, les établissements de jeu permettaient aux libertins de se réunir et de se rencontrer.
C'est la question des relations hors mariage qui se pose ici. L'historien montre que sous la Révolution française, le fait d'être jugée libertine constituait une circonstance aggravante. Par exemple, cela sera soulignée par le Tribunal révolutionnaire lors du procès de la Du Barry. Pour le coup, alors que l'image du libertin est globalement associée à la liberté, celle de la libertine est reléguée au rang des abominations. L'homme peut dominer la femme, mais la femme émancipée heurte la bonne morale bourgeoise, même sous la Révolution. Pourtant, ces femmes fascinaient les contemporains.
Les papiers divers, actes, correspondances, minutes de procès, permettent de dire que, dans l’ensemble, ces femmes libres étaient actives, cultivées, engagées. Certaines ont inspiré bien des auteurs, de Beaumarchais à André Chénier, de Parny au chevalier de Boufflers, et un grand nombre de peintres et de sculpteurs pour lesquels elles ont posé. D’autres, protectrices de l’artisanat d’art, ont parfois aussi joué le rôle de mécènes. C’est pour elles, sur leurs suggestions, que plusieurs des plus beaux hôtels néo-classiques de l’époque ont été édifiés.
De façon générale, c'est la question de l'éducation des filles et de l'accès des femmes à la culture qui se pose. Au XIXe siècle, la situation des femmes n'est pas encore parfaite, loin de là, mais c'est plutôt les femmes cultivées et artistes de la fin du XVIIIe siècle qui transforme le regard de la société sur elles. La Révolution va d'ailleurs couper la tête à Olympe de Gouges. Mais si Olympe de Gouges est devenue le symbole du féminisme aujourd'hui, ce n'est pas seulement une vision rétrospective. C'est parce qu'à la fin du XVIIIe siècle, du moins à Paris, il y avait un climat qui le permettait. C'est une émancipation des femmes par le haut de la société. A cette volonté d'émancipation, les bourgeois ont souvent répondu en imposant une conception chrétienne très conservatrice qui préférait confiner la femme aux tâches domestiques et à son rôle de mère.
(...) L’impulsion d’autonomie et de créativité donnée par toutes ces femmes de la fin des Lumières a été arrêtée net et leur souvenir déformé par les mémorialistes du XIXe siècle, qui ont souvent revisité ce passé brillant au motif du nouvel ordre bourgeois où la femme eut sa place assignée.
Dès lors, si au XVIIIe les femmes de la haute société imposent leur émancipation intellectuelle, allant de paire avec une certaine liberté sexuelle, celle-ci se fera au détriment de leur sexualité au XIXe siècle. Les femmes bourgeoises de ce siècle déprimaient très souvent. Mais si l'évolution est négative pour la femme bourgeoise, que se passe t-il dans le bas de l'échelle sociale ?
4. L'apparition du mariage d'amour dans les classes populaires.
Le premier constat que fait l'historien, c'est que les évolutions positives sont bien plus visible dans les villes que dans les campagnes. Dans les années 1780, la proportion des femmes des villes capables de signer est presque identique à celle des hommes des campagnes. En moyenne, pour le XVIIIe siècle, l’âge au mariage est de 25-26 ans pour les femmes et de 27-28 ans pour les hommes (sensiblement comme aujourd'hui). Pour Chaunu, il s’agit d’une sorte « d’arme contraceptive » (1966). Certes...
Mais entre la puberté et le mariage doit-on affirmer que les jeunes gens restaient abstinent ? Cela paraît peu probable. Paradoxalement, avec la hausse de l'âge au mariage, le nombre des naissances illégitimes augmentent. Avec la révolution industrielle, des hommes et des femmes, qui vivaient dans des communautés villageoises où tout se savait, partent travailler à la ville dans les fabriques. Ils s'éloignent du noyau familial et s'octroient une plus grande liberté. Dans ma généalogie, j'ai le cas de Jean-Baptiste Grivel (1734-1808), parti des Vosges, qui vint se marier en Normandie.
Dès lors, il est possible d'émettre l'hypothèse qu'à la fin du XVIIIe siècle, non seulement les femmes travaillaient avant le mariage, mais aussi qu'elles avaient des relations avec des hommes. A une époque qui ne connaît pas la pilule ou le préservatif (même si ce dernier existait), un accident est vite arrivée. Cela s'observe au XIXe siècle, avec des femmes qui déclarent une profession (souvent couturière) lors de leur mariage, avant d'être déclarées sans profession au moment de la naissance du premier enfant.
Sous la Révolution française, dans le port côtier de Fécamp (Seine-Maritime), j'ai trouvé dans les archives municipales quelques renseignements concernant les relations qu'entretenaient les militaires de passage avec les jeunes filles de la ville. Pour ne donner qu’un exemple, le 26 fructidor an IV (12 septembre 1796), devant Robert Vittecoq, le juge de paix, Rose Cordonnier, âgée de 20 ans, déclare être enceinte de cinq mois et demi « des œuvres de François Bataille », canonnier en garnison à Fécamp. Il lui aurait fait la promesse de se marier avec elle, ce qu’elle demande au juge de paix de consigner par écrit. Lequel juge lui enjoint de prendre soin de l’enfant et de faire enregistrer la naissance sur les registres d’état-civil lorsqu’elle aura lieu. François Bataille confirme cette version des faits et accepte que son nom soit donné à l’enfant à naître. Aucune présence cependant de la naissance d’un Bataille à l’état-civil de Fécamp. Peut-être Rose a-t-elle retrouvée François plus tard ?
Dès lors, si l'éducation des femmes comme moyen d'émancipation s'impose dans les classes aisées de la société, le mariage d'amour apparaît chez les plus pauvres, comme l'explique le moderniste Jacques Solé, interrogé par Dominique Simonnet, au journal L'express en 2016.
Chez les pauvres, on possède peu de biens. Pour se marier, on attend donc d'avoir un petit lopin de terre, une qualification professionnelle. Souvent la femme va se louer à la ville comme servante et économise sou après sou, parfois pendant dix années, avant de se lier. Le couple paysan acquiert ainsi une autonomie économique. Ce qui a une conséquence majeure: le rôle de la femme est valorisé, les conjoints sont plus mûrs, ils se rencontrent dans un esprit d'équilibre, d'égalité, et l'affectivité a désormais sa place dans la formation du lien conjugal. Ce fut l'un des grands changements de ce temps: les paysans ont inauguré le mariage d'amour! Dans ce progrès de l'affectivité, les classes supérieures suivront lentement.
Dès lors, plus que la sexualité en elle-même, les pauvres ont réussit à s'émanciper des traditionnelles communautés villageoises, s'octroyant la liberté de se marier plus tardivement, en ayant déjà un pécule et une certaine situation, et avec la personne de leur choix. Dans les classes plus bourgeoises, la place de la religion est aussi plus forte. Or, l’Église ne voit pas forcément d'un bon œil le mariage d'amour, même si elle finira par le tolérer.
Jacques Solé souligne que l'Ancien Régime, mais aussi le XIXe siècle, malgré le libertinage et les avancées que nous avons vus, reste une époque de répression sexuelle menée avec force par l’Église.
Si l'Eglise fait une concession sur le mariage d'amour, elle n'en fait certainement pas pour le plaisir charnel. Qu'il soit hors mariage ou dans le mariage, il est sévèrement condamné. L'ordre sexuel règne plus que jamais! A cette époque, les chantres des Eglises chrétiennes sont véritablement obsédés par la répression de la sexualité. Le mariage tardif, c'est aussi le triomphe de l'ascétisme !
Cette vision religieuse de la sexualité ne va se fissurer qu'au XXe siècle, et même après 1945. Les siècles de l'époque moderne, mais aussi le XIXe siècle, sont donc plutôt un retour en arrière par rapport au Moyen-Âge. Comme le montre Jacques Solé, le prêtre du village tolère souvent les relations avant le mariage si elles ne vont pas trop loin, mais tolère aussi les coups du mari par la suite.
Dans les campagnes, hommes et femmes dorment dans le même lit, se baignent nus ensemble. On se touche, on badine dans les prés et les étables, on se découvre dans les veillées... Partout, on vit des expériences préconjugales en se contrôlant. On se caresse avant de s'épouser. Ou on s'épouse parce que l'on s'est caressé. La mariée est souvent une fille enceinte que le groupe de jeunes conduit à l'autel. Ensuite, il peut y avoir des mésententes, des brutalités, et les prêtres, qui se méfient des revendications de liberté des femmes, excusent les colères des maris.
Contrairement aux nobles, qui séparent très tôt les garçons des filles, la sexualité dans les classes populaires paraît plus libre et tolérante, mais aussi plus égalitaire. Or, ce sont des hommes nobles ou bourgeois, qui ont été élevé entres hommes depuis l'âge de 7-8 ans, qui écrivent le droit infériorisant juridiquement et socialement la femme. Au fur et à mesure de l'époque moderne, le décalage entre des pratiques plus libres, et un droit et une morale dominante réactionnaire va finir par créer des conflits.
Pour Jacques Solé, la littérature libertine, mais aussi les peintures montrant des femmes dénudées, représente plus un imaginaire fantasmé que la réalité. Très peu de femmes de la noblesse ou de la bourgeoisie pouvaient réellement vivre une sexualité libre sous l'Ancien Régime. Lorsqu'elles devenaient veuves, elles évitaient souvent de se remarier, ce qui leur procurait un peu plus de liberté.
Tout au long de l'époque moderne, c'est un retournement de situation que l'on observe. La société de cour - avec ses fêtes - facilite les rencontres et donc l'adultère. Le roi lui-même n'a pas peur de s'afficher avec ses maîtresses. Mais le peuple lui est contrôlé. Henri II, au XVIe siècle, impose aux femmes de déclarer les grossesses. Le peuple est donc plus surveillé.
Mais, progressivement, l'Eglise va culpabiliser la jeunesse noble et bourgeoise.
A partir de la Révolution, l’Église enseignera aux jeunes nobles que les péchés de leurs pères libertins ont provoqué la catastrophe. (...) A la Restauration, la nouvelle génération sera très dévote, rigoriste et antilibertine. Se noue alors une contradiction qu'illustre bien Rousseau : l'éloge de la toute-puissance de l'individu, en ce qu'il a de plus intime, et le sacrifice de cet individu à la dimension collective. Sous la Révolution, le citoyen va vaincre le libertin. Et l’Église appuiera cette tendance. On remet le couvercle sur la sexualité, et il va y rester un bout de temps.
En conclusion, nous avons vu que la place de la femme est celle d'une éternelle mineure sous l'Ancien Régime, avec des répercussions dans le Code Civil napoléonien notamment (même s'il instaure le divorce). Mais en même temps, la femme noble, au sein d'une société de cour très frivole, peut se permettre des libertés, qui sont tolérées à partir du moment où elles ne mettent pas publiquement l'honneur du mari en jeu. Très longtemps contrôlée par le clergé, la sexualité dans les classes populaires à l'époque moderne va évoluer positivement. Ce sont les pauvres qui imposent le mariage d'amour à la fin du XVIIIe siècle, dans le même temps où les plus riches adoptent une conception beaucoup plus austère et conservatrice de la sexualité. Dès lors, si les femmes n'ont pas vu leurs droits réellement se libérer - il leur faudra attendre l'après Seconde Guerre mondiale - elles ont obtenu, dans les classes populaires, de ne plus se voir imposer son mari.
Malgré tout, après 1945, les violences faites aux femmes ne disparaissent pas en même temps que la reconnaissance progressive de leurs droits (droit de vote, droit de disposer de leur compte bancaire et de pouvoir signer des contrats, droit à l'IVG, droit à l'égalité salariale, etc, etc.). Je sais que certains de mes ancêtres avaient des maîtresses, mais aussi battaient leur femme. Replacer ainsi l'obtention de ses droits dans le temps, permet de montrer que rien n'est acquis. Les femmes bourgeoises du XIXe siècle avait sans doute une vie moins heureuse que leurs homologues du XVIIIe. Au contraire des femmes du peuple, surtout dans les grandes villes, qui se libèrent du poids de la famille et des contraintes sur la sexualité qui en découlaient.
Notes
1. BEAUVALET-BOUTOUYRIE Scarlett, La population française à l'époque moderne. Démographie et comportements, Belin, 2008, p. 271.
2. WAUTERS Eric, Les femmes séquestrées par lettres de cachet dans la généralité de Rouen au XVIIIe siècle, in Annales de Normandie, 65e année, 2015/2, p. 55-82.