Le plancher de Joachim par Jacques-Olivier Boudon (Belin, 2017)
Publié le 21 Décembre 2017
Je viens de finir Le plancher de Joachim. L'histoire retrouvée d'un village par Jacques-Olivier Boudon (Belin, 2017). Un ouvrage dans la droite ligne du Pinagot d'Alain Corbin, cité d'ailleurs dans l'« Introduction ». L'auteur s'appuie sur une série de textes découverts derrière des lattes de plancher. A partir de cette sorte de journal, Boudon, qui est professeur à la Sorbonne, est parti sur les traces du menuisier Joachim Martin (1842-1897) et de sa communauté villageoise, celle du village des Crottes (aujourd'hui Crots, dans les Hautes-Alpes).
Ce fut une lecture très intéressante, même si l'auteur a un peu de mal a clarifier la généalogie de Joachim. Elle est plus ou moins explicité dans le dernier chapitre, « La fin d’un monde ». A la lecture de la table des matières, le plan d'ensemble transparaît. L'auteur part du menuisier, puis s'intéresse au village et à ses villageois, puis s'en va faire un tour du côté du château de Picomtal (dans lequel les lattes de plancher ont été changé), avant d'aborder toutes sortes de thématiques annexes (politique, religion, scolarité, etc.).
Boudon aborde par exemple, plus précisément, la vie quotidienne d'un menuisier au XIXe siècle, la République au village ou encore les questions de la sexualité à l'époque (vue par Joachim, avec les non-dits et les tabous). Bref, l'approche de l'auteur est assez classique concernant l'histoire sociale, même s'il aborde des questions liées à l'histoire des émotions et des sensibilités.
Je suis vraiment conquis par cet ouvrage, comme je l'avais été pour le Pinagot de Corbin (un de mes livres d'Histoire préféré, très largement). Celui-ci est donc un coup de coeur. Il est très bien écrit, agréable et intéressant. Pour un livre d'histoire sociale, qui plus est rédigé par un pur universitaire, dans une collection plutôt destiné aux étudiants, le résultat est très accessible. Ce livre peut donner des pistes à chacun d'entre nous, généalogistes amateurs ou professionnels, pour rédiger notre histoire familiale ou trouver des idées et des pistes de recherches.
Pour résumer fort rapidement, Boudon explore le contexte historique, le rapport de Joachim (son héros) avec la politique, avec la sexualité (sans oublier les secrets de village) ou encore avec la religion. Il essaie de démêler les relations sociales au sein du village, et donc, en quelque sorte, les réseaux du menuisier Joachim Martin. Qui fréquente t-il en somme ?
Les sources de base de la généalogie apparaissent tout au long des chapitres (recensement, état-civil, archives judiciaires, notariales, etc.). Boudon consacre un chapitre complet (le 3) à l'étude du château de Picomtal, dans lequel a travaillé Joachim. Avec ce chapitre, c'est l'histoire immobilière qui est à l'honneur. L'auteur s'intéresse aux différents propriétaires du lieu depuis la Révolution française. Il fait ce que l'on appel une généalogie immobilière. Il s'attarde davantage sur ceux que son héros a pu connaître directement.
Il n'oublie pas non plus la scolarité, avec la transition scolaire, entre une école tenue par les religieux et une école laïque. Il aborde aussi plus loin la relation des habitants avec la religion en général, les scandales qui peuvent toucher le clergé. Joachim est un républicain, certes modéré, mais cela permettra de comprendre certaines de ses visions politiques. Dans un chapitre intitulé « L'espace et le temps », Boudon évoque le rapport de Joachim à son environnement géographique, à l'Histoire et à l'écriture, enfin à la culture populaire. Il montre que son héros est très intéressé par les activités secondaires de son client, propriétaire du château et érudit local. Boudon montre aussi le goût de Joachim pour les faits divers, ce qui est très caractéristique de l'époque.
Au final, c'est un ouvrage que je recommande vivement, qui est du même genre que le Pinagot de Corbin, mais avec un autre regard et un autre traitement du personnage. Bref, un coup de cœur.