Les notables de Fécamp au XIXe siècle (1) : la liste électorale de 1817
Publié le 1 Juin 2017
Cette série sur les notables de Fécamp (76), en deux parties, a pour but de montrer l'importance de certains documents (utiles en généalogie), ici les listes électorales, car ils permettent non seulement d'éclairer le généalogiste sur les électeurs et les personnes éligibles dans la commune, mais lui permet aussi d'élargir son analyse pour avoir un premier aperçu des élites locales (plus largement qu'avec la seule composition du Conseil municipal). A la période concernée, entre 1814 et 1848, c'est le régime du cens électoral qui détermine les électeurs et les électeurs éligibles. Dans la seconde partie de mes recherches, en m'appuyant sur les archives municipales et la littérature secondaire je vais vous présenter une étude plus générale sur les élites de Fécamp et la place qu'elles occupent au sein de la société. Je vais tenir compte des familles de la petite bourgeoisie, non électeurs en 1817, mais qui seront parfois amenées à marquer l'histoire économique et politique de la ville dans les années suivantes.
Sommaire général
1. L'analyse de la liste et ses apports.
2. Qui sont les élites fécampoises à cette période ?
Aujourd'hui, les listes électorales contiennent les noms et prénoms, domicile, date et lieu de naissance des citoyens. Elles sont normalement libre d'accès. Concernant le XIXe siècle, notamment entre 1815 et 1848 environ, elles permettent surtout d'écrire l'histoire politique de la commune. C'est une sorte de liste de notabilité. En effet, il fallait pouvoir déclarer un certain seuil de revenus pour être électeur ou éligible : le cens. De la chute de Napoléon jusqu'en 1830, il faut déclarer 300F pour être électeur, 1000F pour être éligible.
Les listes électorales du XIXe peuvent être connue via les almanachs et annuaires départementaux, mais ils ne publient pas tous le cens des électeurs. Celle de Fécamp est intéressante à plus d'un titre, car elle mentionne même les activités politiques et autres fonctions honorifiques. Ainsi, l'un des électeurs, Charles Leborgne (né en 1757), est déclaré Président du tribunal de commerce. Un autre, Pierre Picard (né en 1741), est Trésorier des invalides de la marine marchande. Elle précise lorsque la personne exerce les fonctions de conseillers municipaux.
Mais alors, quelle utilité pour un généalogiste ? Elle en a plusieurs. Une telle liste peut permettre - pourquoi pas - de retrouver un ancêtre. Je pense notamment aux petites villes rurales, dans lesquelles les propriétaires fonciers n'étaient pas rare du fait de l'agriculture. Elle permet aussi de reconstituer l'univers social et politique d'un ancêtre habitant la commune. Qui sont les puissants ? Quelles sont les activités les plus présentes ? etc, etc. Bref, elle peut donner un premier aperçu et permettre d'émettre des hypothèses.
L'année 1817 est aussi charnière. Elle se situe après l'épisode révolutionnaire et impérial qui marque une transition d'environ 25 ans entre l'Ancien Régime et le rétablissement de la monarchie qui va poser les bases de la révolution industrielle en France. Nous verrons quels enseignements nous pouvons en tirer concernant notre exemple.
1. L'analyse de la liste et ses apports.
A Fécamp, la liste électorale du 5 février 1817 comporte 47 noms, pour une population totale d'un peu moins de 8 000 habitants. Elle donne les noms et prénoms, la profession et/ou le statut et le mandat politique éventuel, la date de naissance (mais pas le lieu) et le cens électoral de la personne. Dès lors, sur les 47 électeurs de Fécamp, seuls 10 sont éligibles.
Fécamp est alors une petite ville, aussi port de pêche, déjà fortement urbanisée. Pour bien percevoir qui en sont les électeurs, une analyse de la liste s'avère nécessaire. Le tableau ci-dessous recense les professions par grandes catégories (négociants et commerçants, artisans et industriels, professions libérales et judiciaires, agriculture, vivants de son revenu, propriétaires, religieux). Certains "actifs" sont aussi qualifiés de propriétaires, les deux mentions étant cumulables. Pour autant, certains électeurs ne sont qualifiés que de propriétaire. Dans la ligne concernée je ne noterais comme propriétaire que les électeurs n'ayant que cette "activité" mentionnée sur la liste.
Professions et activités | Nombres | Pourcentage |
Négociants et commerçants | 17 | 36,17 |
Artisans et industriels | 5 | 10,64 |
Professions libérales et judiciaires | 4 | 8,51 |
Agriculture | 3 | 6,38 |
Vivants de son revenus | 6 | 12,77 |
Propriétaires | 11 | 23,40 |
Religieux | 1 | 2,13 |
TOTAL | 47 | 100 |
Il convient de noter que la majorité des électeurs sont des négociants et commerçants (36,17%). Cela n'a rien d'étonnant pour une ville portuaire. En revanche, certains négociants, qui ont été ou seront armateurs, ne sont pas mentionnés comme tels. Le fait qu'il n'y ait pas d'armateurs est peut-être dû au fait qu'un armateur est propriétaire de son bateau, mais parfois en association. Dès lors, l'activité d'armement était nécessaire pour le négoce mais pas déclarée en tant que telle. Mes ancêtres Levacher, à Saint-Valery-en-Caux (76), étaient des armateurs, mais cette profession n'est jamais déclarée à l'état civil. Ils sont plutôt désignés comme négociant ou négociant-saleur. Un armateur, même associé, est souvent un chef d'entreprise.
En cette année 1817, l'activité de pêche reprends doucement après la chute brutale du commerce maritime durant les guerres révolutionnaires et napoléoniennes. Cela démontre toutefois que le commerce et le négoce est l'activité principale de la ville et qu'elle permet encore à 17 personnes de réaliser des profits non négligeable. Dans les années 1810-1830, l'élite économique de la ville se replie sur elle-même, notamment par le biais de la franc-maçonnerie. Lorsque Charles X tombe en 1830, la bourgeoisie fécampoise accueille favorablement l'arrivée de Louis-Philippe sur le trône. Ce roi libéral abaissera même le cens, permettant à une petite bourgeoisie montante de prendre part aux élections et donc à la vie politique.
A l'inverse, nous notons la présence d'un religieux, un prêtre, qui est aussi propriétaire. Un des plus gros cens électoral de la ville. Cependant, Fécamp fut une ville profondément religieuse durant le Moyen-Âge et l'époque moderne, grâce à son abbaye construite en 990, une des plus importante du Royaume aux XVIIe et XVIIIe siècles. Cette liste électorale illustre donc la chute brutale de la main-mise des religieux sur la ville. Les causes de cette transition se doivent d'être cherchées durant la période révolutionnaire et impériale.
Plus surprenant, la présence de 3 agriculteurs, même si elle s'explique. Là encore, remontons au XVIIIe siècle. Fécamp est déjà urbanisée, malgré une population d'à peine 6 000 habitants. Pour autant, l'Abbaye possédait des terres et des fermages, puis, sous la Révolution, devenue chef-lieu de canton, ses alentours sont encore très ruraux, ce qui explique certainement la présence d'agriculteurs dans une telle liste.
Cela m'amène à dire deux mots de l'âge des électeurs. 6 électeurs sont nés dans les années 1780, et non donc connus le déclenchement de la Révolution que comme enfant, avant de commencer à entrer dans la vie active - le cas échéant - dans les années 1790-1800 (autours de 15-20 ans). Cette liste est donc intéressante car elle permet de voire émerger la nouvelle génération de l'élite économique et politique de la ville. 1 seul de ces 6 électeurs appartient à la catégorie des éligibles (plus 1 000F de cens). Ces électeurs éligibles - qui ne sont pas forcément les élites politiques de la commune - appartiennent à la génération qui a connu la Révolution. 1 est né dans les années 1730 (il a précisément 79 ans), 2 dans les années 1740, 1 dans les années 1750, 3 dans les années 1760, 2 dans les années 1770 et 1 dans les années 1780.
Dès lors, avec 5 individus, c'est la période 1760-1770 qui domine. Ces gens sont encore très liés à l'Ancien Régime de part leur profession. Alors, paradoxalement, si la liste électorale dans son ensemble annonce les changements sociaux opérés par la Révolution, les élites (éligibles) sont encore très traditionnelles. Le maintien d'une élite urbaine à Fécamp trouve là-encore sa source dans le XVIIIe siècle. Dans l'ombre de l'Abbaye, cette bourgeoisie prend son envol. Dire que la Révolution fut bourgeoise est une vérité, mais c'est réducteur.
En fait, les affaires électorales intéressaient peu les gens du peuple, même s'ils pouvaient suivre les résultats et côtoyer ces messieurs. Les habitants savaient sans doute, via les almanachs, qui étaient les électeurs dans leur ville et donc les "bourgeois". La réforme municipale de 1831 fut beaucoup moins scrutée que la réforme de la garde nationale, qui intervenait dans le même temps.
En conclusion, la loi électorale de 1817, comme la loi municipale de 1831, participe en fait d'une volonté politique d'inclusion sociale, c'est-à-dire prendre davantage en compte cette petite bourgeoisie méprisée par Charles X. Le système censitaire sera remis en cause par une partie des républicains, ceux que l'on qualifie de socialistes (il y en a à Fécamp). Cette question du suffrage va entraîner, en partie, les Révolutions de 1830 et 1848.
Je vais maintenant, un peu plus rapidement, tenter de comprendre la place que cette élite occupe au sein de la cité, en incluant dans cette étude les familles de la petite bourgeoisie qui ne peuvent encore prétendre voter en 1817 (voir deuxième partie : cliquez ici).
Annexe
Liste électorale de Fécamp formée conformément à loi du 5 février 1817
AUBRY Pierre, propriétaire de son bien, °11 juin 1754, 588 fr 78
BELLET Amand, négociant et propriétaire, 486 fr 62
BUQUET Louis Emmanuel, notaire et propriétaire, °2 septembre 1769, 300 fr 99
COUILLARD Dominique, propriétaire, °20 septembre 1758, 798 fr 88
CLOUET Pierre Charles Élie, 1er adjoint et propriétaire, °15 juin 1766, 1314 fr 32
COUILLARD Prosper, négociant et propriétaire, °13 septembre 1769, 567 fr 43
COUILLARD Valentin, maître tanneur et propriétaire, °10 juillet 1770, 310 fr
CHESNÉE Prudence, négociant et propriétaire, °29 septembre 1788, 400 fr
DROUET André, aubergiste et propriétaire, °15 février 1755, 310 fr 64
DESPORTES François Benoît, vivant de son revenu, °16 mars 1756, 482 fr 51
DELAPORTE Louis, fabricant d'huile et propriétaire, °4 novembre 1789, 583 fr 44
DEVENOIS François, propriétaire, °1750, 540 fr 20
DÉGENETAIS Étienne Dominique, maître pharmacien et propriétaire, 28 septembre 1789, 2073 fr 49
DÉCHAND Germer, négociant et propriétaire, °24 septembre 1760, 550 fr 48
DUROCHER Emmanuel père, maître épicier et propriétaire, °14 janvier 1752, 444 fr 38
DEMAHIEL François Étienne, prêtre et propriétaire, °29 septembre 1740, 1968 fr 68
SOURAY Vincent, 2e adjoint et propriétaire, °22 février 1740, 1885 fr 70
FRIBOULET Florentin, aubergiste, °17 juin 1784, 560 fr 31
GAZAN Frédéric, capitaine vivant de son revenu, °4 septembre 1778, 1055 fr 43
GAILLARD François, vivant de son revenu, °6 septembre 1754, 332 fr 29
GRUEL Romain, maître meunier et cultivateur, °10 janvier 1769, 314 fr 10
HÉBERT Jacques Thomas, juge de paix & propriétaire, °2 mai 1765, 1000 fr 98
HÉBERT Juste, vivant de son revenu, °2 juillet 1759, 303 fr 69
HOLLEY Charles, maître épicier & propriétaire, °1er mai 1769, 445 fr 06
HARDY Guillaume, propriétaire °14 juillet 1759, 307 fr 40
LEBORGNE Charles, négociant, propriétaire & président du tribunal de commerce, °8 septembre 1757, 1713 fr 34
LE MIRE George, propriétaire, °17 septembre 1737, 1435 fr 67
LEMETTAY Isaac André, propriétaire, °15 mais 1784, 496 fr 41
LEBORGNE Jean Baptiste, maître mercier & propriétaire, °30 septembre 1750, 941 fr 69
LEMÉTAYER Charles, maire & propriétaire, °1768, 496 fr 51
LESIEN Jean, cultivateur, °14 octobre 1756, 362 fr 88
MASSY Michel, fabricant d'huile & propriétaire, °10 septembre 1785, 510 fr 20
MARCOTTE Louis Guillaume, marchand de drap & propriétaire, °22 juin 1778, 309 fr 40
MÉNAGE André, propriétaire, 402 fr 79
PERRON père Pierre, cultivateur, propriétaire & membre du Conseil, °15 juin 1741, 730 fr 96
PATEY Louis, négociant & propriétaire, °2 mai 1768, 607 fr 80
PICARD Pierre Grégoire, trésorier des invalides de la marine marchande, membre du Conseil & propriétaire, °12 mars 1741, 366 fr 44
SIMON Charles, marchand de vin, propriétaire & membre du Conseil, °29 septembre 1772, 1044 fr 43
SERVAIN Adrien, fabricant d'huile & propriétaire, °18 mars 1776, 804 fr 95
SENECAL Pierre, négociant & propriétaire, 2 septembre 1767, 538 fr 58
TOUGARD DE BOIROSÉ François Dominique, vivant de son revenu & membre du Conseil, °8 avril 1751, 374 fr 99
TROQUE Pierre Jacques, vivant de son revenu & membre du Conseil, °10 mars 1757, 449 fr 15
THURIN Simon, négociant & propriétaire, °25 mars 1767, 1268 fr 18
THURIN Jacques, négociant & propriétaire, °10 mars 1744, 411 fr 10
VITTECOQ Robert, maître mercier, propriétaire & membre du Conseil, °10 mars 1749, 313 fr 02
VIVIER Jacques, pharmacien, propriétaire & membre du Conseil, °18 avril 1757, 325 fr 84
VOUIN Michel, cultivateur, ° 4 octobre 1768, 590 fr 96