Charles Victor Galissard (1825-1880), pilote-lamaneur de Fécamp.

Publié le 15 Septembre 2018

Voici un ancêtre dont la vie fut peu commune. C'est une sorte d'extraterrestre. Avec d'autres marins, ils appartenaient à la catégorie des héros de la mer, ceux qui, bravant le danger, prenaient des risques pour sauver des équipages pris dans des tempêtes ou des habitants tombés dans le port. C'est aussi mon seul aïeul ayant obtenu la Légion d'honneur pour son courage. Marin, pilote, sauveteur en mer, il appartient à une famille de gens courageux, même si l'austérité n'est pas très loin, que ce soit financièrement ou moralement. Car ces gens de la côte, ces marins, se dévouaient corps et âme pour leur métier, parfois, sans doute, au détriment de leur famille.

Portrait de Charles Victor Galissard, non daté, mais probablement à la fin de sa vie (Archives privées Levacher)

Introduction : les Galissard, une famille de marins et de pilotes.

Charles Victor Galissard est né le 23 mars 1825 à Fécamp, rue de Mer, de Pierre Armand, un marin de 48 ans, et Louise Argentin, 39 ans.

Port de Fécamp, carte d'état-major 1820-1866 (Géoportail, 15.09.2018)

Port de Fécamp, carte d'état-major 1820-1866 (Géoportail, 15.09.2018)

Petit dernier du couple, Charles a un frère aîné, Pierre François, né d'un premier mariage de son père, ainsi que six frères et sœurs du second mariage. Il est déjà oncle à sa naissance. Pierre François a en effet une petite fille, Louise Victoire, née en 1822.

Arbre de descendance de Pierre Armand Galissard et Louise Argentin (Geneanet, 2 septembre 2018). Cliquez pour agrandir.

Arbre de descendance de Pierre Armand Galissard et Louise Argentin (Geneanet, 2 septembre 2018). Cliquez pour agrandir.

Dans une famille de marin, un fils devait passer par la case mousse. Il semble que Charles le devint vers 1836 sur un terre-neuvier, c'est-à-dire un bateau de pêche à la morue. Il avait 11-12 ans. Pour vous donner une idée, voici un extrait d'un texte universitaire qui résume très bien ce qu'était la situation des marins au XVIIIe siècle, mais aussi dans la première moitié du XIXe.

Au temps de la marine à voiles, la navigation nécessitait un savoir-faire que seul un apprentissage empirique dispensait. La formation était exigeante (endurance, force physique), polyvalente (marines de pêche, de commerce et de guerre) et éprouvante (éloignement, absence). Pour protéger leur activité, les « gens de mer » étaient les réservistes de la flotte de guerre, dans le cadre du système des classes. En échange, ils bénéficiaient d’un embryon de Sécurité Sociale avec la caisse des Invalides. Alimentée par des cotisations, elle offrait aux inscrits l’accès aux soins gratuits et à une pension. Avant l’invention de la plaisance, vers 1860, l’univers de la navigation restait un monde à part. La forte mortalité professionnelle raccourcissait l’espérance de vie maritime d’une dizaine d’années.

Histoires de la souffrance sociale (PUR, 2007)

Dans la famille Galissard, la frontière avec la marine royale, puis nationale semble ténue. Jacques (décédé en 1769), l'arrière-grand-père de Charles, est désigné comme marinier ou matelot dans les actes. Son fils, Jacques (1749-1821), fut aussi un très bon marin, capitaine de navire à 26 ans, puis pilote-lamaneur, sauveteur en mer. Son fils, Pierre Armand (1776-1841), le père de Charles, est resté marin toute sa vie. Lorsqu'il meurt en juillet 1841, à 64 ans, il est toujours marin.

1. Un métier difficile, mais exigeant : pilote-lamaneur.

Il était très difficile de changer de situation sociale. Chez les Galissard, la plupart des hommes sont marin ou pilote au XIXe siècle, et même au début du XXe siècle, leurs activités restent liées au monde maritime. Famille modeste, ces membres semblent travailleurs, au vu du nombre de capitaine ou de maître au cabotage, parfois aux alentours de l'âge de 25 ans. De même, être pilote n'était pas si facile. Il s'agissait d'un brevet. Le pilote était un marin expérimenté.

Un décret impérial de 1806 explique que « nul ne pourra être reçu pilote-lamaneur ou locman, s'il n'est âgé de vingt-quatre ans ; s'il n'a au moins six ans de navigation (...) ». Il doit aussi avoir réalisé deux campagnes de trois mois au service de l’État. Nous voyons bien que la frontière entre la marine civile et militaire est ténue dans le cas des Galissard, ce qui explique certainement, à la fois leur dévouement et leur droiture (ou austérité) morale. A son décès, en 1880, Charles est déclaré comme pilote-lamaneur sur l'acte d'état-civil. 

Être pilote, ce n'est pas seulement ça, sinon ce serait trop simple. Il fallait aussi avoir une connaissance théorique et technique. Le candidat pilote devait connaître le système des marées, des bancs et des courants. Bien sûr, dans son port d'attache, que ce soit en rivière ou en mer, sa maîtrise des dangers spécifiques à la navigation devait être naturelle.

Chose rare, l'examen est gratuit. Nous percevons ici la possibilité d'ascension sociale offerte à un homme de condition modeste de se hisser dans la hiérarchie maritime. Le candidat est jugé par un officier de port, deux pilotes-lamaneurs et deux capitaines de commerce. Aucun favoritisme n'est théoriquement possible, les examinateurs devant départager les candidats au mérite.

Une fois admis, un pilote était reconnaissable par une petite ancre en argent agrafée à sa boutonnière. Une fois l'obtention du brevet acquise, le service ne peut plus être interrompu. De fait, le pilote est exempté de tout autre service dû à l’État.

Le pilote ne pouvait voyager au-delà de l'arrondissement sous peine de huit jours de prison. S'il naviguait au petit cabotage, et donc abandonnait son poste, il était rayé de la liste des pilotes-lamaneurs et réinscrit sur le registre matricule des gens de mer.   

2. Le parcours de Charles Victor.

Le concernant, j'ai connaissance d'au moins sept sauvetages. 

Après son entrée dans la marine de pêche comme mousse, en 1836, nous retrouvons sa trace au moment de son mariage. En janvier 1845, il épouse une fille de marin, Virginie Victoire Loisel. En dehors du cousin de la future, journalier, les autres témoins sont deux marins et un capitaine de navires.

En sociologie, ou en démographie, c'est ce que nous appelons l'endogamie, c'est-à-dire le fait de se marier avec une personne du même milieu social, géographique ou professionnel. Pour les marins, ce phénomène est très fort. Même les filles de marins se mariaient souvent avec des marins.

Le couple reconnaît en même temps leur fils Victor François, né en novembre 1844. Ils auront quatre enfants, trois garçons et une fille.

Peu après son mariage, Charles doit effectuer son service militaire dans la marine nationale. Il est affecté à la division maritime de Cherbourg, dans la Manche. Il entre comme matelot de 3e classe en janvier 1846 et ressort comme maître de manœuvre de 2e classe en juillet 1848.

Dans la nuit du 17 au 18 août 1847, Charles se distingue au cours d'un acte de sauvetage, lors de l'incendie du magasin général du port de Cherbourg.

De retour de service, il va naviguer comme marin sur les bancs de Terre-Neuve entre 1849 et 1859. Son dossier de chevalier de la Légion d'honneur mentionne qu'il a navigué au total 395 mois et 8 jours, tant pour l'Etat, le commerce ou la petite pêche.

Dossier de Charles Victor GALISSARD - Archives Nationales - LH/1059/23

Dossier de Charles Victor GALISSARD - Archives Nationales - LH/1059/23

Charles est reçu pilote le 5 avril 1859.

Quatre mois plus tard, son frère aîné, Pierre François, décède chemin de la jetée nord à Fécamp, en son domicile, âgé de 58 ans. Il était pilote depuis 1848.

En 1868, Charles est impliqué dans le sauvetage de l'équipage du Joseph-Marie à 6h du matin, en pleine tempête.

Un drame personnel vient ensuite affecté Charles. En février 1870, il perd sa mère Louise Argentin, qui avait 84 ans.

En 1871, il participe à deux sauvetage. En mars, celui de l'équipage d'un canot d'Yport qui a chaviré en face de la jetée Nord de Fécamp. Et en juin, celui de l'équipage de la chaloupe Le Coquette. Pour ce fait, il reçoit la médaille de 1ère classe argent. Sont aussi impliqués comme sauveteurs : Aldric Bazille et Joseph Gravey, qui reçoivent également une médaille.

En janvier 1873, il participe au sauvetage du lougre les Trois Sœurs. Il reçoit la médaille de 2e classe or. Est aussi présent son frère, Victor Napoléon Galissard, maître haleur, qui reçoit la médaille de 1ère classe argent. Ce naufrage à l'entrée du port fit plusieurs mort, au moins treize sur le coup, plus un autre des suites de blessures. Il n'y eut que quatre survivants (sur dix-huit hommes d'équipage). Eudier, Sevestre et Galissard, sont les sauveteurs qui contribuèrent le plus grandement au sauvetage. Un canot assista les opération, avec à son bord, Florentin et Victor Capon, deux frères, ainsi que Jules Brument et Casimir Blait

En avril 1874, Charles Galissard et Norbert Neveu reçoivent un témoignage de satisfaction de la part du ministre de la marine et des colonies pour le sauvetage du lougre Les Deux Cousins qui s'est jeté sur la côte.

Deux ans plus tard, en février 1876, il participe au sauvetage d'un homme dans le port de Fécamp. Il reçoit la médaille de 1ère classe or.

BNF - Journal Officiel, 10 juin 1876 (p. 3/48)

BNF - Journal Officiel, 10 juin 1876 (p. 3/48)

Conclusion : la reconnaissance et son décès.

Une récompense prestigieuse va venir couronner sa longue carrière.

En avril 1878, il est nommé chevalier de la Légion d'honneur sur proposition du ministre de la marine, Louis Pierre Alexis Pothuau (1815-1882).

Dossier de Charles Victor GALISSARD - Archives Nationales - LH/1059/23

Dossier de Charles Victor GALISSARD - Archives Nationales - LH/1059/23

Malheureusement, malade, il va mourir moins de deux  ans plus tard, le 23 mai 1880, à 15h, en son domicile, situé Quai des Pilotes à Fécamp. Il avait 55 ans. Dominique Mallet, journalier de 26 ans, et Jules Réaux, aussi journalier, de 31 ans, déclarent le décès. A son décès, Charles était membre de la Société des sauveteurs de la ville et de l'arrondissement du Havre.

Quai des Pilotes, carte d'état-major 1820-1866 (Géoportail, 15.09.2018)

Quai des Pilotes, carte d'état-major 1820-1866 (Géoportail, 15.09.2018)

Le Journal de Fécamp et le Journal de Rouen évoquent l'événement, ce qui démontre la popularité qu'avait sans aucun doute acquise Charles Victor.

Les obsèques sont célébrées en l’église Saint-Étienne de Fécamp le 27 mai 1880. Une messe est donnée par l'abbé Crost de Rouen. La présence de membres de la Société des sauveteurs du Havre est à souligner. Charles a reçu les honneurs militaires par les Sapeurs-Pompiers et les Douaniers.

Plusieurs personnalités sont présentes, comme le maire de Fécamp, Alexandre Legros, aussi gestionnaire de la Bénédictine ; le commissaire de l'inscription maritime ; le vice-président de la subdivision, Duhamelet, qui a prononcé un discours, reproduit dans la presse ; Norbert Neveu, pilote et ami de Charles ; et encore Duboc, l'officier de port.

Les descendants de Charles contracteront des bons mariages et auront des bonnes situations au début du XXe siècle.

  • Son fils aîné, Victor François (1844-1891), a suivi la carrière classique du marin, en commençant par être mousse. Il est capitaine à 24 ans, puis suivra les traces de son père en devenant aspirant-pilote (pilote remplaçant en quelque sorte). Son fils Victor Charles (1880-1957), était courtier maritime, membre de la franc-maçonnerie et conseiller municipal de Fécamp. Il reçut la médaille de la prévoyance sociale. Il sera aussi vice-consul du Danemark à Fécamp.
  • Son second fils, Ernest Adolphe (1846-1892), fut marin. Marié à une fille de marin, Florine Suzanne Caron, il en aura une fille et un garçon, Ernestine et Ernest. Ernest sera valet de chambre au Havre, où il meurt à 24 ans en 1908 (sans que j'en connaisse les causes).
  • Son troisième fils, Pierre Arthur (1851-1912), dit Arthur, fut marin, pilote et guetteur. En août 1910, il reçoit la Médaille d'honneur des marins du commerce, en tant que pilote inscrit à Fécamp. Son fils Arthur Victor (1881-1950) sera ouvrier-négociant en salaison, puis saleur et enfin saleur-armateur. En juillet 1924, il est déclaré en faillite par jugement du Tribunal de commerce de Fécamp. La fille d'Arthur Victor, Marie-Thérèse, épousera un représentant de commerce de Rouen, Gustave Leclerc.
  • Enfin, son dernier enfant et sa seule fille, Marguerite (1858-1939), épouse Alexis Joseph Grivel (1851-1921), un fécampois, sans doute ami de la famille Galissard, qui fut pilote au Havre. Leur fille, Marguerite (1880-1934) épouse le négociant-saleur et armateur Louis Pascal Levacher (1877-1949). Leur fils, Louis Joseph (1911-1988) est mon arrière-grand-père.

Portrait de Marguerite Galissard, non daté (Archives privées Levacher)

Rédigé par Simon Levacher

Publié dans #côté paternel, #histoire régionale

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