Ecrire l'histoire familiale et la biographie d'inconnus

Publié le 7 Juin 2018

Dans les blogs de généalogie, la biographie d’un individu apparaît le plus souvent sous une forme chronologique : naissance, mariage, décès. C’est une méthode simple, efficace et logique. Elle est aussi pédagogique. Certains chercheurs, avec plus de temps, réalisent des lignes de vie et vont faire des fouilles dans les archives. Ici ce sont les amateurs. Comme moi, comme vous peut-être, ils publient leurs articles sur Internet.

Mais qu’en est-il des universitaires et des érudits locaux ? Parfois, le temps d’une publication ils se transforment en généalogistes. Des travaux qui prennent diverses formes : biographies d’inconnus, histoire d’une famille célèbre, généalogie personnelle, souvenirs d’un ancêtre.

Je commencerais du plus large pour arriver au particulier, de l’histoire familiale à la biographie. Pour ce faire, j’ai sélectionné des ouvrages que j’ai dans ma bibliothèque. Ils sont plus ou moins récents.

Le genre de la biographie historique est bien connu. Il en existe depuis toujours (ou presque). Dans l’antiquité, les historiens écrivaient déjà des biographies d’intellectuels et de souverains. Je citerais les Vies parallèles par Plutarque pour la Grèce. Pour Rome, il y a l’incontournable Suétone qui écrivit sur César et les onze premiers empereurs. Prenons sa vie de Tibère. Voici le découpage que l’on peut faire :

  • La famille paternelle, celle des Claudii.
  • Les bonnes et mauvaises actions des membres de la famille.
  • Origine paternelle et maternelle de Tibère
  • Détails sur le père de Tibère
  • Naissance de Tibère
  • Son enfance et sa jeunesse
  • Début de sa carrière, mariage et enfants.
  • Nombreux développement sur son règne et sa psychologie
  • Début de sa maladie.
  • Sa mort.      
  • Son testament.

Il s’agit là d’un modèle biographique qui reste le plus usité par les historiens actuels. Inclure une vie politique ou intellectuelle dans le contexte familiale et historique. L’accumulation des biographies de Suétone concernant les premiers empereurs permet de reconstituer l’histoire de la famille des Julio-Claudiens.

Au Moyen-Âge, nous trouvons aussi des biographies. Beaucoup concernent des saints. Les historiens parlent alors d’hagiographies. Mais il y a surtout les histoires des règnes. Citons la vie de Charlemagne par Eginhard (Les Belles Lettres, 2015) et celle de Louis VI par Suger (Les Belles Lettres, 1964).

Aujourd’hui, au-delà du récit biographique, les historiens se mettent à écrire l’histoire des familles célèbres, notamment de la noblesse. Dans Les Montmorency. Mille ans au service des rois de France (Flammarion, 2015), Daniel Dessert évoque l’histoire d’une des plus anciennes familles de la noblesse française.

En ligne masculine, la famille disparaît en 1878. En ligne féminine, elle s’éteint en février 1922 avec la vicomtesse de Durfort-Civrac, née Montmorency-Luxembourg.

L’extinction d’un nom de famille est une chose bien curieuse. Dans ma généalogie, j’ai ce cas. Ma grand-mère a pour nom de jeune fille Rodias. Avec sa sœur, elles sont les dernières à porter ce joli patronyme. Après elles, il disparaîtra, car elles sont les seules à le porter en France. La famille continue par les femmes, certes, puisque j'en descend, mais par les hommes elle est éteinte. Comme la loi sur les noms de famille n’existait pas encore, il n’a pas pu être transmis. Ainsi va la vie.

Ce qui est surtout passionnant avec les familles de la noblesse ce sont les stratégies matrimoniales. Les Montmorency ont habilement choisi leurs épouses parmi des héritières. Seulement, pour éviter l’éparpillement du patrimoine, la famille recherche des mariages de plus en plus consanguins, entre cousins et cousines le plus souvent. Le refus de s’ouvrir à des alliances avec des familles nobles de plus basses extractions ou, encore pire pour eux, à des alliances avec des parvenus ou des bourgeois aisés, va accélérer le lent déclin démographique de la lignée.

Une autre famille noble très ancienne a fait l’objet d’une étude récente : celle des Rohan. Éric Mension-Rigau a publié Les Rohan. Histoire d’une grande famille (Perrin, 2017).

Cette famille bretonne, connue dès le XIe siècle, a encore des membres vivants aujourd’hui. A l’origine, elle connaît une ascension rapide en mettant en œuvre une habile stratégie matrimoniale.

Contrairement aux Montmorency, qui étaient fiers de leur sang, et qui cherchaient avant tout à conserver le patrimoine de la famille dans la même lignée, les Rohan se distinguent par la volonté de servir l’État avant tout. Le chef actuel de la famille, Josselin de Rohan (né en 1938), a été sénateur-maire et conseiller général. Un exemple typique de cette notabilité des campagnes qui cumulent les mandats sur une longue période (39 ans de vie politique ici). Son fils est chef d’entreprise.

Si les Montmorency ont aussi une assise locale, celle des Rohan – la Bretagne – est constitutive de leur histoire familiale. Ainsi, ces familles de la haute noblesse ont chacune leur identité propre. Les Montmorency sont avant tout au service du roi et soucieux de leur rang et de leur patrimoine. Les Rohan sont au service de l’Etat et préfèrent une politique matrimoniale pragmatique et sans contrainte. Ainsi, Josselin de Rohan a certainement épousée Antoinette Boegner par amour. Cette dernière étant la fille d’un diplomate et la petite-fille d’un théologien protestant.

Dans des familles françaises situées dans le bas de l’échelle sociale, la question des alliances matrimoniales se posent différemment. Jusqu’au XVIIIe siècle, les mariages sont rarement d’amour. Le père peut refuser le mariage de son fils avec telle ou telle fille du village. Malgré tout, sans doute dans les familles de bourgeoisie récente la question se pose.

Ma famille paternelle – les Levacher – connaît une importante évolution sociale au XIXe siècle, passant de la paysannerie au petit artisanat local, puis au négoce et à la gestion d’entreprise, avant de redescendre dans l’échelle sociale. Une lettre d'une membre de la famille, la fameuse tante Tougard (1850-1914), explique a son neveu ce que doit être une bonne épouse. Elle doit venir, si possible, d'une famille respectable (comprenez, qui n'a pas mauvaise réputation). Elle doit avoir une certaine éducation, savoir compter et remplacer le mari en cas d'absence, tout en s'occupant de la bonne tenue de sa maison et de sa famille.

Après les familles nobles, je vais me pencher sur une catégorie particulière : celle des travaux d’universitaires sur leur propre famille.

Je pense notamment au géographe Jean-Robert Pitte, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, qui a publié Une famille d’Europe. Récit historique (Fayard, 2011).  Il a des origines à la fois françaises, normandes et alsaciennes notamment (comme moi du reste) et étrangères (hongroise principalement). La branche venue de Hongrie, de confession juive, a connue une ascension sociale à la fin du XVIIIe siècle et tout au long du XIXe siècle, avant d’être rattrapée par l’antisémitisme.

L’ouvrage est bien écrit et l’auteur cherche vraiment à immerger le lecteur dans les ambiances vécues par ses ancêtres. Il n’y a pas de photographies, juste des retranscriptions de documents (voir des traductions). La forme peut donc surprendre car Jean-Robert Pitte utilise sensiblement les mêmes méthodes que n’importe quel généalogiste amateur : anecdotes de famille, documents officiels et d’archives, tout en replaçant ses ancêtres dans leur contexte et la grande Histoire. Bref, une bonne façon de faire, mais somme toute assez classique.

Plus proche du travail généalogique, tel qu’il peut être demandé dans le cadre d’une formation universitaire, c’est Une histoire de France. Récit (Les impressions nouvelles, 2018) de la sociologue Nathalie Heinich.

L'autrice a pu présenter son livre dans La Grande Librairie, sur France 5.

Elle présente l’histoire de sa famille, des juifs émigrés en Afrique du Nord, puis à Marseille. Son grand-père, Bentzi, sera déporté. Elle raconte son arrestation, connue grâce au récit de la bonne de la famille.

C’est une histoire émouvante qui montre comment une famille de culture différente peut s’intégrer en France, et même y faire fortune. C’est un récit, bien écrit et très sociologique (sans doute dû au métier de l’auteur). Nathalie Heinich agrémente son récit avec de nombreuses photographies et des documents officiels ou familiaux.

Bentzi a une histoire attachante et l’auteur en fait le centre de son histoire. Parti de rien, il a été dans sa jeunesse presque un déclassé, avant de monter une fabrique de casquettes qui lui permet de se hisser dans la bourgeoisie. Il est pris à parti par ses ouvriers lors des grèves de 1936. Ce n’était pas un mauvais patron, mais il ne comprend pas que c’est le symbole qu’il représente qui est visé. C’est un parvenu pour l’ancienne bourgeoisie et un social-traître pour les ouvriers. Bentzi ressort de cet épisode social très affecté et se retire des affaires, laissant sa fabrique à son gendre, Lazare. C’est alors la Seconde Guerre mondiale.

Une histoire tragique en vérité !

Elle fait échos au récit de l’historien Ivan Jablonka dans Histoire des grand-parents que je n’ai pas eus (Seuil, 2012). Un livre qui fut un succès.

Enfin, la dernière catégorie ce sont les inconnus. J’entends par inconnus, des individus qui ont laissé peu de traces. Ici, le livre le plus célèbre est sans aucun doute celui d’Alain Corbin, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d’un inconnu (1798-1876) (Flammarion, 1998).

Il a choisi un exemple extrême. Un individu qui ressemble à la plupart de ceux que nous avons dans nos généalogies. Pinagot est né, est mort et s’est marié. En dehors de cela, il ne laisse aucunes traces. Pour palier les manques, Corbin va s’ingénier à rassembler des informations sur le contexte local, sur les affaires judiciaires qui sont traités dans la région, sur l’éducation, etc. Bref, c’est une démarche presque anthropologique. En tout cas, il s’attache aux mentalités et c’est ce qui rend son étude des plus passionnantes. Pour moi, elle fut un coup de cœur qui m’a ouvert les yeux sur une autre façon de faire de la généalogie et m’a ouvert les yeux sur l’importance de m’intéresser au contexte.

Dans cette catégorie, j’ajouterais un ouvrage de Christian Chevandier, La fabrique d’une génération. Georges Valero, postier, militant et écrivain (Les Belles Lettres, 2009).

L’intérêt de cette biographie, c’est qu’elle retrace la vie de Georges Valero (1937-1990), un homme du XXe siècle. Ce n’est pas un total inconnu, mais plutôt un « oublié ». Il a donc laissé des traces. Militant politique et syndicaliste, il a laissé quelques écrits et le chercheur a pu interroger des gens qui l’ont connu. Aujourd’hui encore, pour ceux qui s’engagent dans des associations ou des activités politiques et syndicalistes, il arrive de se retrouver mis en avant, parfois médiatiquement. Pour autant, ces gens, la plupart du temps restent des « inconnus » pour le grand nombre et retombent dans l’oubli rapidement, sauf parmi leurs proches et amis.

Moi-même, je sais que les traces les plus « visibles » que j’ai laissé sont très peu nombreuses. Un ou deux articles dans la presse locale, en tant que membre du bureau d’une association, un petit engagement militant et un article dans une revue d'histoire locale. Cela ne fait pas de moi quelqu’un de connu, loin de là. De même, je laisserais peut-être à la postérité des écrits généalogiques et sans doute une histoire familiale.

Je terminerais en citant le livre de Jacques-Olivier Boudon, Le plancher de Joachim (Belin, 2017), qui fut un coup de cœur, mais aussi un succès de librairie. J’en ai fait une chronique sur ce blog.

Par cette présentation d’ouvrages, j’espère vous avoir donné envie d’en lire et d’en savoir plus. J'ai bien sûr donné un petit aperçu de la littérature disponible et j'aurais pu aborder d'autres ouvrages, tout aussi passionnant. Il est possible de nous inspirer de ces livres pour écrire nos propres histoires familiales, mais aussi la biographie d’un ancêtre. 

Rédigé par Simon Levacher

Publié dans #méthodologie

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