Les notables de Fécamp au XIXe siècle (2) : qui sont les élites fécampoises à cette période ?

Publié le 1 Juin 2017

2. qui sont les élites fécampoises à cette période ?

 

À Fécamp, la Révolution a contribué à mettre au pouvoir un personnel politique local, issu de la petite et moyenne bourgeoisie. Les listes de jurés, mais aussi les listes électorales, tout autant que les historiens de la ville, le montrent bien. Les mêmes familles apparaissent régulièrement à la tête de l'administration municipale. Toutefois, l’ascenseur social n'est pas fermé. Comme le rappel judicieusement Guy Lemarchand, le mérite personnel devient « un critère important » dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ainsi, le capitaine François Corbière (1789-1867), d'extraction modeste, a pu devenir armateur. Certains acteurs, pour la plupart économique, obtiennent une reconnaissance sociale tardive, dû à un enrichissement progressif de leurs affaires. C'est le cas, notamment, de la famille Duval de laquelle est issu l'écrivain Jean Lorrain. Ces ascensions fulgurantes aboutiront à la constitution d'une notabilité négociante, prospère sous la IIIe république. D'une manière générale, la reconnaissance sociale, qui permet de se distinguer du reste de la population, vient du mérite personnel ou de la richesse familiale. La naissance n'est plus l'élément qui détermine la place des individus dans la société, même si de nouvelles dynasties familiales vont apparaître au XIXe siècle.

Un lieu de sociabilité, déjà évoqué dans le premier épisode de notre série, prends une importance toute particulière au cours de la période. C'est la loge maçonnique. Trois aspects caractéristiques la nouvelle loge maçonnique de Fécamp, héritière de la loge d'ancien-régime. La création de la Triple Unité semble s'être réalisée après la visite de Napoléon et de Joséphine en mai 1811. Tout d'abord, les francs-maçons fécampois sont des notables, soucieux de s'engager le moins possible sur le plan politique. Toutefois, les membres sont libres de conscience à titre individuel. Il apparaît qu'ils sont majoritairement de sensibilité légitimiste. Ensuite, elle met en avant la bienfaisance et la solidarité. Enfin, elle est très déférente à l'égard de la loge parisienne et elle refuse de prendre des décisions ne concernant pas Fécamp. Pour exemple, Jean-Louis Leclerc, orléaniste, est initié en 1817. Élu maire de Fécamp en 1821, il fut d'abord affilié à une loge parisienne. Vincent Couillard et Jacques Huet (qui donne son nom à une rue de la ville) auront la même attitude. En revanche, ils ne vont s'affilier qu'en 1860.

Cette notabilité fécampoise, comme le critiquera Jean Lorrain dans Les Lépillier, est fort soucieuse des convenances, tel que le respect d'autrui. Également, les membres de la loge mettent en avant des sentiments charitables, teintés de morale catholique. Parmi les anciens francs-maçons se trouvent Robert Vittecoq, membre de la municipalité sous la Terreur, et Jean-Baptiste Grisel, violon de l'abbaye et professeur de musique. Ses membres sont issus de la bourgeoisie urbaine (négociants, armateurs, industriels et professeurs). Ce sont donc des privilégiés, tels que Charles Le Borgne et Thomas Massif, officiers municipaux en 1790, lors de la fermeture de la première loge. Le nombre de ces membres, de dix à quinze, nous montre bien la nature de la loge. Elle est réservée à un groupe de sociabilité bien précis. Ainsi, nous ne trouvons pas de religieux, de fonctionnaires, d'officier ou de nobles. Finalement, la loge est peu représentative de Fécamp. La plupart des membres ont des grades élevés dans la hiérarchie de la franc-maçonnerie.

En juillet 1813, la loge adopte une série de « règlements particuliers », composés de 200 articles. Cela dénote un sens de la prévoyance et de la précision propre à ce nouvel esprit bourgeois, poussé à son paroxysme sous l'Empire. Sur le plan du contenu, les sujets politiques et religieux sont bannis des conversations. Cela peut s'expliquer par la nature politiquement sensible de ce type de thématiques. Sur le plan de l'organisation, nous avons quatre commissions : celle des finances, composé de 6 membres, celle de la correspondance, de 4 membres, celle de la bienfaisance, de 4 membres également, et celle de la justice, toujours de 4 membres. Les vénérables assurent la composition des commissions. La cotisation est de 9 francs mensuels. Une séance se tient le 1er jeudi du mois, mais l'abstention est assez élevée. De fait, les bourgeois sont plus à l'église qu'à la loge. Paradoxalement, le budget dédié à la bienfaisance est faible. Cela nous amène à penser que l'objectif de la loge est avant tout de protéger les biens acquis. Pour réutiliser le vocabulaire de Maurice Agulhon, c'est un cercle privé et fermé. 8 500 Fécampois dépendent de ce cercle, composé des représentants de la bourgeoisie d'affaires. Des personnages qui ont des intérêts communs et mettront tout en oeuvre pour les défendre. La loge maçonnique est donc un moyen défensif et réactionnaire, basé sur le modèle du corporatisme. En 1828, la dissolution de la loge, par commun accord des membres, n'a pas beaucoup de conséquences.

Les propriétaires tiennent également une place à part, omniprésents dans les listes électorales, il convient d'y revenir ici. La petite propriété rurale est rare. Les propriétaires sont souvent des gros propriétaires urbains. La propriété est un acquis révolutionnaire que nous réduisons souvent à cette simple équation : propriété égal liberté. Or, ce n'est pas un hasard si « le propriétaire devient le bourgeois, l'homme épris d'ordre et de conservation ». Les acquis de la Révolution française ne seront conservés que si l’ordre social et politique est maintenu. La richesse devient un élément constitutif de la hiérarchie sociale. Certaines logiques d'Ancien Régime persistent. Concernant la reproduction sociale, Adeline Daumard montre que des dynasties bourgeoises nouvelles apparaissent en France, que ce soit dans la finance, le commerce ou le négoce. D’une certaine manière, celui qui est riche possède le pouvoir. « La propriété, en d'autres termes, ne s'abîme pas dans le propriétaire (…), elle reste intrinsèquement un objet représentable ». Finalement, la propriété reste le seul moyen le plus sûr d'accéder à la citoyenneté. Paradoxalement, c'est un faux problème, dans la mesure où des non-propriétaires peuvent accéder au statut de citoyen. Ainsi, sur la liste électorale de février 1817, tous les inscrits – ils sont 47 sur une population d'environ 8 000 habitants – sont dit « propriétaires », sauf deux : un aubergiste et un cultivateur. De manière générale, « s'ils forment bien une classe, les propriétaires ne se distinguent pas seulement du peuple : ils s'opposent d'abord au monde des privilégiés et des titulaires d'offices ». Le citoyen-propriétaire symbolise l'élite sociale et symbolise une forme bien précise de citoyenneté.

En conclusion, la moyenne bourgeoisie est principalement représentée par les professions libérales, les hommes de lois ou les corporations (apothicaires, orfèvres ou merciers). La ville de Fécamp est dominée par les négociants, les armateurs et les « propriétaires ». Un individu est parfois, et souvent, les trois à la fois.

Rédigé par Simon Levacher

Publié dans #histoire régionale, #méthodologie, #côté paternel

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